pour qui sonne le glas ?
"je trouve que nous sommes nés dans un temps très difficile, songea t'il. je pense qu'à n'importe quelle époque, ça devait être plus facile. On ne souffre pas beaucoup, parce qu'on s'est habitué à résister à la souffrance. Ceux qui souffrent ne sont pas faits pour ce climat. Mais c'est une époque de décisions difficiles. Les fascistes ont attaqués, et ça, ça nous a décidés. On lutte pour vivre. Mais je voudrais pouvoir attacher un mouchoir à ce buisson, là derrière, et revenir un jour prendre les oeufs et les faire couver par une poule et voir les petits perdreaux dans ma basse-cour. Moi, ça me plairait des petites choses comme ça.
Mais tu n'as pas de maison et pas de basse-cour dans ta pas-de-maison, songea-t'-il. En fait de famille, tu n'as rien qu'un seul frère qui va demain à la bataille, et tu ne possèdes rien d'autre que le vent et le soleil et un ventre vide. Le vent n'est pas lourd, pensa-t'-il, et il n'y a pas de soleil. Tu as quatre grenades dans ta poche, mais elles ne sont bonnes qu'à lancer. Tu as une carabine dans le dos, mais elle n'est bonne qu'à tirer des balles. Tu as un pli, que tu dois donner. Et tu es plein de merde que tu pourras donner à la terre, songea-t'-il en souriant dans la nuit. Tu peux aussi la mouiller en pissant dessus. Tout ce que tu as, c'est des choses à donner. Tu es un phénomène de philosophie et un pauvre bonhomme, se dit-il, et il sourit à nouveau."